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Photo du rédacteurGuilhem Lucubrastel

Paradis perdu

Dans Les Noviens, j’aborde la question des contradictions dont les humains sont coutumiers. Je pense que personne ne me démentira sur le constat que nous sommes capables du pire comme du meilleur, généralement par alternance, parfois en même temps. J’avoue que cela m’a toujours un peu perturbé. Je ne vois pas l’intérêt pour une civilisation de s’autoravager, d’autant que la Terre ne se gêne pas pour nous faire souffrir de temps en temps, ce qui devrait nous suffire pour entretenir le suspense.

L’observation de nos excès et de leurs conséquences meurtrières interpelle quant à la nature de nos valeurs communes fondamentales. Il semblerait en fait que nous n’en avons pas défini et que nous errons en tant qu’humains comme un poulet sans tête. N’importe quelle organisation détermine des principes de fonctionnement, sauf les Hommes qui sont bien au-dessus de cela…

Pour me rassurer sur nos mœurs, je me dis qu’après tout, les millénaires se succèdent en remisant la barbarie collective au rang des pratiques du passé. Il apparaît que chaque siècle est globalement moins meurtrier que le précédent, mais sans garantie que néanmoins le prochain ne rattrapera pas le retard accumulé en termes de morts et de destructions.

La plupart d’entre nous mesurent nos progrès sur une base annuelle, voire décennale par nécessité biologique. Depuis quelques décennies, la tendance est plus difficile à discerner sur un horizon aussi court. Ce n’est pas l’effet de la pandémie que nous arriverons à juguler, mais de doutes croissants. Nous sommes confrontés à des formes de précarisation économique en raison de la pression démographique. Nous prenons conscience que le réchauffement climatique risque d’échapper à notre contrôle avec des répercussions incommensurables.

Le message officiel sur l’état du monde nous procure une fausse impression. Les indicateurs de bonheur mesurent tout autre chose que notre prospérité. Le taux de chômage, le niveau des indices boursiers ou la progression du PIB sont-ils révélateurs de notre bien-être ? Ont-ils un impact positif sur notre félicité. Où est-ce l’inverse… ?

Serions-nous arrivés à une sorte de point de non-retour ? Cheminons-nous sur un itinéraire balisé par l’autodestruction et l’aveuglement volontaire ?

La narratrice remarque d’ailleurs dans Les Noviens, « C’était devenu presque banal, d’abord nous détruisions, ensuite nous réparions, donnant l’illusion d’une éternité qui pourrait le cas échéant être étendue à l’espèce humaine. J’éprouvais le sentiment que nous avions pris la très mauvaise habitude de nous mettre en péril. Nous escomptons en permanence trouver des solutions et les ressources pour nous en sortir, appliquant cette logique comme un ressort de motivation inconsciente pour recréer en permanence le contexte de notre combat pour la survie originelle. »

Cela peut-il durer éternellement ou bien faudrait-il songer à limiter nos tendances suicidaires, et prendre enfin soin de la Terre pour qu’elle continue à subvenir à nos besoins ?

Une évidence me direz-vous, pas tant que ça.

Il existe une étude sur le nombre de décès prématurés dans la population en Europe que tout le monde devrait connaitre.

Ses résultats sont sans appel. Sur 1,5 million de disparitions annuelles, plus d’un million d’entre elles sont évitables, car liées en partie à l’insuffisance des mesures de prévention et à l’imprudence. Le cancer du poumon, les arrêts cardiaques et les maladies découlant de la consommation excessive d’alcool représentent les trois principales causes de mortalité que nous pourrions toutes empêcher. Sans avoir des diplômes de médecine, tout le monde connait les coupables. À l’instar des cigarettes, ils restent en vente libre et s’affichent dans des publicités toujours plus suggestives et ambiguës, accompagnées de messages ignorés de modération.

Chacun parvient à ses propres conclusions face à des incohérences aussi flagrantes qui frisent la totale hypocrisie. Brûler la chandelle par les deux bouts est l’expression qui me vient souvent à l’esprit, sous forme d’une consommation matérielle excessive afin d’assouvir des envies pour l’essentiel futiles.

Dans son livre sur les homo sapiens (j’ai lu la version BD), Yuval Noah Harari met en avant l’individualisme moderne qui tranche avec un mode de vie beaucoup plus collectif en vigueur depuis des temps anciens. Il m’a fait prendre conscience que nous sommes conditionnés dans les sociétés occidentales à vivre seuls dès le plus jeune âge, en ayant des chambres privées. Du coup, nous avons notre espace privé et des divertissements exclusifs. Il souligne que cela favorise le développement de personnalités indépendantes, mais cela ne compense pas le risque de provoquer des formes d’égoïsme, voire d’égocentrisme.

Quoi qu’il en soit, nous ne partageons plus nos jeux. Nous cherchons à nous différencier et ne supportons que ceux qui sont en apparence comme nous. Nous voulons nous distinguer et attendons une forme de reconnaissance. Et surtout, nous craignons de plus en plus la vie communautaire (ou alors elle devient une sorte de rejet de la société).

Et cependant, n’avons-nous pas atteint la limite du chacun pour soi ? La nécessité de partager la planète comme sa chambre n’est-elle pas flagrante ? L’obligation d’accepter le vivre ensemble ne s’impose-t-elle pas ?

Cela parait une évidence et ne se fait pourtant plus naturellement.

Les profondes divisions entre nous nous empêchent de fédérer assez de monde autour d’une réponse collective qui pourrait être dictée par une majorité à la minorité qui nous gouverne. Les intérêts partisans sont artificiellement segmentés en sous-groupes au point d’être irréconciliables. Morceler pour mieux régner. Il faut donc chercher à qui profite la désunion.

À la différence des fourmis qui forment un tout homogène, et dont les actions coordonnées régissent le destin commun, les humains sont sept milliards à espérer que quelqu’un trouvera une solution à leur problème, sans qu’elle les incommode.

Personne ne s’en sortira indemne au bout du compte. Cela constitue une sorte d’échec pour une espèce animale et une impasse périlleuse pour une civilisation qui fonctionne sur la base d’une consommation à outrance pour oublier les difficultés du quotidien.

Mais n’est-il pas logique qu’un paradis artificiel se transforme en paradis perdu ? Est-il encore possible de retrouver le paradis originel ?

J’en suis convaincu, d’autant qu’il en existe probablement de nombreux à découvrir.

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